Se nourrir en Terres fécondes de Vies

La salle était large et haute. Le peu de clarté que laissaient échapper les quelques ouvertures en contrebas de la salle, permettaient uniquement de deviner la taille au sol de celle-ci, ainsi que sa forme, toute particulière. Il était ainsi possible, pour les inconscients invités, de comprendre la structure même de la Chambre : car il s’agissait bien d’une chambre, au centre de laquelle, dans un large siège, était avachie la Banshee, mère des corps sans vie des nouveaux habitants de Mayandallëh. La structure de la chambre était effectivement bien particulière. Pour les curieux, capables d’outrepasser la première impression d’un cercle, il était indéniable que la chambre offrait plutôt une forme multigonale. Chaque pan, de quelques pas de longueur, montait au ciel, pour rejoindre les autres. Chacun de ces pans, à l’aspect gluants et à l’odeur nauséabonde, étaient relié à la Banshee par ce qui pouvait passer pour des cordons de mort, des lambeaux de chairs, unissant la Mère à quelques obscures entités engluées dans chaque pan, telle la Reine d’une ruche, abreuvant ses petits.

Les pieds traînants, une ombre noire pénétra dans la chambre. Les bras balans de part et d’autres de son corps, il s’accroupit entre les lambeaux de chairs, aux pieds de la Banshee, sans un mot…

- "Nous avons faim… Mais… Tu le sais…"

La voix semblait sortir de l’esprit même de la morte. Ses lèvres n’avaient pas bougé. Ses yeux n’avaient pas cillés. Elle était restait immobile à l’entrée de l’ombre inerte. Elle n’avait eu besoin d’aucune annonce de son entrée. Elle savait, avant même que lui ne le sache, qu’il serait bientôt devant elle. Elle était leur mère à tous, mais elle était bien plus également… Chaque enfantement prenait force en elle. Chaque enfant, comme elle aimait à les appeler, était une partie d’elle-même. Il était impossible alors de savoir si c’était la Banshee elle-même qui parlait à travers ses Ombres, ses enfants, où s’ils avaient eux même, pris l’initiative de la parole, de leurs actes. Leur union, leur cohésion était incompréhensible pour ceux qui n’étaient pas des leurs.

Une chaleur étrange emplissait la pièce, accompagnée d’une moiteur que la Banshee affectionnait. L’air, ainsi difficilement respirable pour ceux dont il était nécessaire, pesait aussi surement et lourdement que l’intimité entre la Banshee et celui qui, allongé par terre, semblait vouloir embrasser ses pieds. D’un geste ample, elle posa sa main sur ce qui semblait être la tête de son enfant. Ce qui aurait pu passer pour un geste qu’étrange aux yeux des ignorants, était un réel geste d’amour.

- "Va… Et reviens Nous vite.
Nous ne pouvons rester plus longtemps sans de quoi nous repaître et nous abreuvez.
Tes frères attendent…"

A ces derniers mots, l’ombre noire sorti de la chambre, laissant la Banshee, les mains posée sur son ventre, chérissant ce qui criait famine. Les cordons de mort, ou de vie (selon le point d’où l’on se plaçait) s’amenuisaient plus rapidement à présent. Bientôt, les alvéoles seraient vides de cette nourriture si précieuse

C’est une lente agonie qui brisait le ventre de la Banshee : la faim était plus grande que jamais. Pour oreilles bien avisées, quelques infâmes gargouillis semblaient sortir du ventre de Kiewabadthe. De longues heures s’étaient écoulées, et l’atmosphère pesante était à présent oppressante. Alors que quelques cadavres vivant s’affairaient autour de la Mère, dans la chambre, celle ci restait silencieuse. Chaque cadavre extirpait un liquide collant, d’un ton verdâtre, de chacune des alvéoles de la Chambre. Ce qui avait été des hommes, des femmes et des enfants, n’était plus que liquides en décomposition. L’appétit de la Banshee et de sa nouvelle portée était grandissante.

Les ombres grouillantes apportèrent bientôt nourriture fraîche et criante. Imperturbables, ne prêtant aucune attention aux pleurs, aux cris et aux jérémiades affolées du frais festin, les ombres les disposèrent dans chacune des alvéoles. Engluée dans ce qui semblait être des restes putréfiés de diverses races dragostiniennes, les victimes ne pouvaient ni se libérer, ni même bouger. La peur se lisait sur leur visage, mais rapidement, le renoncement figea leur trait.

Les Ombres, saisirent alors les lambeaux de chairs, et enfoncèrent ce qui semblait être l’extrémité, dans le ventre des victimes. Des cris retentirent, bien plus strident que précédemment. Mais, là encore, ni la Banshee, ni les Ombres ne semblaient les entendre. Il était erroné de croire que cette misère les réjouissait. Ils n’étaient simplement pas réceptifs à ce que les vivants appelaient sentiments…

Les cris cessèrent doucement, à mesure que les lambeaux de chairs se gorgeaient de l’essence même des récentes victimes. Alors que les Ombres continuaient à s’activer à leur besogne, la Banshee intima :

"Doux choix…
Nous apprécions énormément ce divin nectar…
Les Orphelins ?
Judicieux choix ! A n’en pas douter…
Leur manque de cohésion militaire est évident…
Et leur sang est juste frais et chaud comme nous les aimons…
Les cueillir n’était point chose très insurmontable.
Ils nous ont même offert leurs terres…
Quelle exquise intention…
Et ces derniers nous font l’infime honneur de venir nous rendre une visite pour nous offrir le dessert ?"

La Banshee n’eût pas besoin d’en dire plus long. Comme une conscience commune, les Ombres se rendaient déjà aux abords des nouvelles Terres Eveillées, collectant, recueillant nouveaux produits de première fraîcheur… Quant à la Mère, elle ne bougea pas de son siège, se délectant du nouveau repas tant attendu. Des soubresauts dans son ventre n’était que l’évident bien être de ses nouvelles progénitures. Leur faim était insatiable. Les cris ne résonnèrent bientôt plus dans les alvéoles…

Des ombres s’agglutinèrent alors autour de la Banshee, chacun d’eux tentant de bénéficier de l’aura de la Banshee. Son état proférait aux derniers nés qui l’entouraient, encore haut de quelques pommes, une vigueur et une force dont ils auraient besoin dans les mois à venir. D’un geste maternel, elle les pria de s’approcher plus près.

"Quelques jours encore…"